Si les questions parlementaires sont l’outil le plus fréquemment utilisé par les membres de la Chambre des représentants afin d’interroger le pouvoir exécutif, leur usage varie selon les députés qui les posent et les ministères qui y répondent. Pourquoi ces différences ? Qu’est-ce qui pousse certains députés à poser beaucoup de questions, et d’autres beaucoup moins ?
Dans le cadre de son mémoire de master en sciences politiques à l’Université Mohamed V, Othmane Bentaouzer, chargé de projet à Tafra, a collecté depuis le site du Parlement l’ensemble des questions écrites et orales adressées par les membres de la Chambre des représentants au gouvernement durant la législature 2011-2016, soit près de 40 000 questions. Une première lecture montre que tous les députés n’exercent pas leur fonction de contrôle de la même manière.
Dans un premier billet sur la question, publié sur notre site la semaine dernière, il apparaît que le PJD et l’USFP sont les partis qui posent le plus de questions parlementaires, avec respectivement 25 000 et 12 000 questions, tandis que celles des autres formations avoisinent les 5000. Ces questions sont le plus fréquemment posées au ministère de l’Intérieur (17,5%), suivi du ministère de l’Education nationale (9%) et du ministère de l’Equipement (8,6%). Quant au taux de réponse, il ne va pas forcément de pair avec la fréquence des questions : le ministère de la santé, à qui ont été adressées 7,3% des questions, a répondu à 80% d’entre elles. Le ministère le plus sollicité, à savoir l’Intérieur, affiche quant à lui le taux de réponse le plus faible, soit 29,6%.
Au-delà de l’affiliation partisane, nous nous penchons cette semaine sur d’autres facteurs, que nous avons groupé en trois grandes raisons.
D’abord, l’obtention d’information. Un système de contrôle efficace du travail gouvernemental par le parlement suppose que les députés aient tous accès à l’information. Le député pose donc des questions à l’exécutif afin d’obtenir des informations sur des politiques d’ordre national ou local.
Deuxièmement, la dénonciation des politiques du gouvernement. En accord avec le statut de contre-pouvoir du Parlement, les députés posent des questions afin de contester certaines politiques du gouvernement.
Enfin, la recherche d’une récompense électorale. Les députés se servent des questions parlementaires afin de transmettre les besoins et les problèmes de leurs électeurs. Cela leur permet de se forger une bonne réputation auprès de leurs électeurs, et d’en bénéficier potentiellement lors des prochaines échéances électorales.
Poser des questions n’est pas lié aux enjeux électoraux
Si les impératifs électoraux expliquent le nombre de questions au Parlement, les députés qui ont le plus envie de se faire réélire devraient logiquement poser davantage de questions. En effet, poser beaucoup de questions au gouvernement au sein de l’hémicycle donne au député l’image de défenseur des intérêts de sa circonscription et de ses électeurs. Cela lui permet d’augmenter sa visibilité et de se forger une bonne réputation auprès de ses électeurs. En contrepartie de ce service, on peut s’attendre à ce que les électeurs le récompensent par des voix lors des différentes échéances électorales.

Figure 1 : La répartition du nombre de questions par député en fonction de l’écart de voix
Pour comprendre si les enjeux électoraux sont liés à la fréquence des questions posées par les députés, nous avons observé si les parlementaires les plus vulnérables électoralement – c’est-à-dire ceux ayant été élus avec un écart de voix très serré par rapport à leurs concurrents – posent plus de questions que les autres. Logiquement, on pourrait croire que ces députés ont davantage besoin du soutien de leurs électeurs, et qu’ils doivent donc poser plus de questions. Ce n’est pas le cas. La Figure 1 montre que les députés élus avec une petite marge ne posent pas davantage de questions que les députés élus avec une forte marge. On peut alors envisager deux explications : premièrement, cela peut vouloir dire tous les députés posent des questions simplement parce qu’ils croient que cela relève de leur devoir. Mais cela peut aussi signifier que les électeurs ne récompensent pas leurs députés en fonction de leur performance au Parlement.
Plus on s’éloigne de Rabat, plus on pose de questions
Par ailleurs, nous avons remarqué que les députés élus dans des circonscriptions périphériques posent beaucoup plus de questions que les autres. Cela peut s’expliquer par l’histoire centralisée du royaume. Plus on s’éloigne de Rabat, moins on a accès à l’information. Les députés élus dans des circonscriptions éloignées du centre adressent donc des questions au gouvernement pour accéder à l’information.

Figure 2 : Les 10 circonscriptions ayant posé le plus de questions ; la distance de Rabat est exprimée en KM entre parenthèses. Les présidents des groupes parlementaires sont exclus de l’échantillon
Les circonscriptions pauvres ne sont pas “défendues” par les députés
Les députés des circonscriptions les plus éloignées de Rabat posent plus de questions. Peut-être que c’est parce qu’ils ont moins accès à l’information. Peut-être aussi parce qu’ils auraient davantage de raisons de dénoncer les politiques du gouvernement. Les problèmes dont souffrent les circonscriptions éloignées de Rabat reçoivent généralement moins d’attention médiatique que les problèmes de Rabat ou Casablanca, respectivement les capitales administrative et économique du royaume. Les parlementaires remplissent donc cet écart en retransmettant les problèmes et les besoins de leurs électeurs à travers des questions à la Chambre des représentants.
Alors, est-ce l’accès à l’information ou la dénonciation des politiques du gouvernement qui poussent les députés des circonscriptions les plus éloignées à poser plus de questions ? Pour en avoir le cœur net, nous avons cherché à savoir si les élus des circonscriptions les plus pauvres posent plus de questions que les autres. Ce n’est pas le cas. Une manière d’expliquer ceci pourrait être que les élus des circonscriptions les plus pauvres sont généralement des notables qui n’ont pas besoin d’adresser une question au gouvernement afin d’intervenir en faveur de leurs électeurs. Ces notables sont généralement très impliqués dans la vie politique et économique locale. Ils ont donc la possibilité de répondre aux problèmes de leurs électeurs sans avoir besoin de les adresser à l’assemblée.
Mot de Tafra
Il semblerait que c’est essentiellement pour mieux accéder à l’information que les députés posent des questions. Ainsi, les députés issus des circonscriptions éloignées de Rabat ont tendance à poser beaucoup plus de questions que leurs collègues. Par ailleurs, les enjeux électoraux et la dénonciation des politiques du gouvernement semblent avoir peu d’impact. En effet, ni les élus des circonscriptions les plus pauvres, ni les élus disposant d’une marge de victoire plus faible ne posent plus de questions que les autres.
L’analyse des questions parlementaires nous aident à éclaircir une partie des enjeux qui déterminent le comportement des élus de la Nation. Une donnée fondamentale puisqu’un exercice réel de la reddition des comptes nécessite que tous les citoyens soient informés des actions, des inactions et des motivations des élus. Mais l’analyse doit être prolongée à d’autres compétences dont les parlementaires disposent, à l’exemple des amendements sur les textes de loi, et les propositions législatives.