Auteur remarqué (son livre Contesting Development : Participatory Projects and Local Conflict Dynamics in Indonesia, a reçu le prix du meilleur livre 2012 de de l’American Sociological Association, section développement international), Michael Woolcock est chercheur principal en sciences sociales au sein du Groupe de recherche sur le développement de la Banque mondiale. Il revient ici sur les enjeux que recouvre le processus de modernisation des administrations publiques et attire l’attention entre les changements opérés en surface (lois, organigrammes, infrastructures…) et l’efficacité réelle du système.
Qu’entendez-vous par processus de modernisation de l’administration ?
Lorsque nous parlons du processus de modernisation de l’administration publique, nous parlons en fait d’une composante au sein d’un vaste groupe d’activités qui sont le résultat, ou qui font partie, du processus de développement.
Nous parlons de la modernisation de l’économie : transformer une production agricole à petite échelle en une économie plus industrialisée et axée sur la productivité, qui crée de la valeur grâce à une productivité accrue. Nous parlons de moderniser le système politique : comment on modernise ? comment on partage le pouvoir et comment il est transféré au fil du temps ? Dans les systèmes pré-modernes, on le transfère à la personne la plus forte ou au frère du roi. Dans un système moderne, le transfert se fonde sur le mérite et il existe une bonne raison pour laquelle vous me choisirez comme chef et personne d’autre. Nous parlons aussi de la modernisation de la société. Lorsque nous modernisons une société, nous essayons d’évoluer vers un monde où chacun a les mêmes droits et les mêmes obligations ; les hommes et les femmes, les jeunes et les vieux, les personnes appartenant à différents groupes religieux et ethniques sont alors tous considérés comme égaux. Ce qui semble évident peut-être pour de nombreux pays et de nombreux endroits, est encore un long chemin à parcourir.
Lorsque nous parlons de moderniser l’administration publique, nous parlons de quelque chose qui englobe l’ensemble de ces programmes. Ce qui nous oblige à avoir beaucoup de règles sur la façon de gouverner, le fonctionnement des marchés, nous devons limiter le pouvoir des puissants, fournir aux gens des services comme la santé et l’éducation.
Pour être vraiment moderne, cela nécessite un vaste ensemble de systèmes bureaucratiques, compliqués, qui doivent fonctionner correctement pour tout le monde. Mais pour que cela se produise, il faut que ce soit fait par des gens qui savent ce qu’ils font, qui sont dans la position qu’ils occupent parce qu’ils sont compétents, parce qu’ils répondent aux normes professionnelles, parce qu’ils ont été formés de façon appropriée.
Dans un système pré-moderne, vous travaillez pour le gouvernement parce que vous êtes un ami du gouvernement, vous connaissez les bonnes personnes, vous avez des relations, parce que vous avez donné de l’argent lors d’une campagne ou autre ; dans un système moderne, vous êtes là parce que vous l’avez mérité, parce que vous êtes la bonne personne, vous avez montré que vous avez la bonne formation et les bonnes capacités pour faire le travail qu’on vous demande. Actuellement, une grande partie du travail de développement consiste à essayer de moderniser le système administratif public de cette manière.
Pourquoi certains Etats échouent-ils à réformer leur administration ?
Lorsque les états passent par ce processus, ils essaient généralement de partir d’un très petit système et de l’agrandir. Il se peut qu’ils prennent un système où les gens n’ont pas les bonnes compétences ; ils doivent alors améliorer leurs compétences ou le logiciel, le matériel, les systèmes informatiques, toutes ces choses ont besoin d’une grande mise à niveau. Jusqu’aux pratiques des gouvernements qui ont également besoin d’être modifiées. Habituellement, pour que ce processus se produise, – au moins pour les pays pauvres – cela exige une certaine forme de financement, une aide extérieure qui se manifeste d’une manière ou d’une autre, que ce soit de l’argent ou de la formation. Mais une fois que vous êtes engagés avec des acteurs extérieurs, ils ont des attentes très particulières quant à la cadence des réformes, aux types de réformes qu’ils considéreront comme légitimes et les preuves de succès.
Le problème, c’est qu’en étant obligé de générer le changement, vous finissez par créer un changement qui ressemble à un changement, plutôt qu’à un changement qui améliore manifestement la fonctionnalité du système. Donc, nous distinguons là entre changer la forme et la fonction, entre l’apparence d’un système et ses capacités réelles.Et il n’est pas difficile de changer l’aspect d’un système : vous pouvez changer les lois, l’organigramme, construire un nouveau bâtiment – tout cela parait très impressionnant et peut aider les gens à se sentir bien, peut-être à court terme. Mais cela revient à changer l’apparence du système, sans que cela ne change réellement ni ce qu’il fait, ni ce qu’il pourrait être capable de faire. Avoir toute votre équipe qui monte en capacité est à peu près équivalent au fait d’apprendre à jouer du violon : au début, vous êtes mauvais, et vous ne devenez bon, vous ne faites des progrès qu’à force de pratique. Donc, remplacer simplement l’infrastructure ou les bâtiments dans lesquels vous travaillez, ne change généralement pas la fonctionnalité du système. Ce que nous essayons de faire maintenant, c’est de nous focaliser beaucoup moins sur l’apparence des choses, et de nous concentrer beaucoup plus sur la manière avec laquelle aider les gens à devenir plus compétents en tant qu’équipe afin de mener à bien le travail très difficile qu’implique l’administration publique.
En quoi la compréhension du contexte politique est-elle aussi importante ?
Une des raisons pour lesquelles réformer une situation donnée est aussi difficile est que les gens puissants l’apprécient telle qu’elle est. Si c’est devenu une façon de récompenser vos amis et de punir vos ennemis, alors avoir une autre personne qui essaie de changer cela, qui l’amène dans une tout autre direction, peut menacer vos propres intérêts. Donc, tout processus de réforme, y compris dans le secteur privé, est toujours un processus intrinsèquement difficile parce que les gens puissants apprécient généralement la situation telle qu’elle est. C’est une des raisons pour lesquelles il faut prendre la politique au sérieux : la politique, ce n’est pas seulement structurer des organisations ou des systèmes électoraux ; le pouvoir et la politique sont partout, c’est la façon dont les gens se frayent un chemin à travers le monde.
Le défi est qu’une grande partie de ce qui constitue la politique ne peut être observée par les moyens habituels – nous ne pouvons pas faire d’enquêtes à ce sujet, nous ne pouvons pas l’examiner avec les instruments habituels, susceptibles d’encourager un changement dans une direction ou dans une autre. La majeure partie de la politique se déploie à travers des formes insidieuses, qui surviennent sous la ligne d’eau. C’est comme un grand iceberg : vous pouvez voir la petite pointe au sommet alors que la plupart du vrai travail se passe sous l’eau. Et quand nous disons que nous devons prendre la politique plus au sérieux, nous devons prendre le contexte au sérieux. Ce qui signifie reconnaître que ce que nous sommes capables de voir n’est généralement pas l’image complète, d’autant plus en tant qu’outsiders.
Et pour avoir une idée plus riche de ce qu’implique l’image complète, il faut investir beaucoup de temps dans la compréhension de la culture locale, de l’histoire locale, de la façon dont les choses se sont formées et de ce qu’elles font dans ce lieu particulier. Cela devrait être le fondement de certaines stratégies plus pondérées pour évoluer d’un système à un autre.