Amaney Jamal – Etudier les opinions publiques dans la région MENA

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Professeur de science politique à l’Université de Princeton, Amaney Jamal est par ailleurs chercheuse principale pour l’Arab Barometer, une série d’enquêtes d’opinion sur la gouvernance dans les pays arabes. Elle nous explique en quoi l’étude de l’opinion publique dans la région MENA est importante, revient sur les défis posés par la collecte de ce type de données et précise ce que les sondages nous ont appris jusqu’à présent.

Pourquoi l’étude de l’opinion publique dans la région MENA est-elle importante ?

L’étude de l’opinion publique dans la région MENA est très importante car cela nous donne un aperçu de ce que les citoyens ordinaires pensent de certaines questions. C’est d’autant plus important que les citoyens de ces pays n’ont pas encore fait l’expérience de toutes les manières de participer à une démocratie.

Par exemple, nous ne pouvons pas évaluer ce que les citoyens pensent réellement lorsqu’il n’y a qu’un seul candidat qui se présente aux élections, comme c’est le cas aujourd’hui en Égypte. Que ce candidat gagne ou non les élections, cela ne nous donnera pas d’indications sur ce que pense la majorité de l’opinion. C’est pourquoi, le sondage d’opinion est un instrument qui nous permet d’avoir une bonne idée de ce que les citoyens pensent de certaines questions et de certains sujets.

Quels sont les défis posés par la collecte de ce type de données dans la région MENA ?

Parmi les défis que pose la collecte de ce type de données, le premier est de s’assurer que nous travaillons dans des régions politiquement stables. Par exemple, nous n’avons pas été en mesure de travailler de manière systématique en Irak en raison de l’instabilité. Actuellement, nous sommes confrontés au même problème au Yémen, où règne une grande instabilité politique. C’est donc un défi. Un autre défi réside dans le fait que les gouvernements ne veulent pas nécessairement que nous fassions des enquêtes d’opinion ou que nous recueillions des données sur les citoyens ordinaires. Donc nous y rencontrons souvent des difficultés. Mais je dois dire que cela devient de moins en moins un problème même si cela reste un aspect sur lequel nous continuons de travailler. Le troisième défi est que les citoyens aiment les sondages d’opinion. Ils apprécient qu’on les interroge sur leurs opinions politiques, sociales et économiques, mais ils ont bon espoir que leur participation entraînera des changements majeurs ou des améliorations dans leur vie quotidienne. Disposer de ces connaissances est important, mais nous ne sommes pas aptes à leur promettre des changements ou des améliorations immédiates dans leur quotidien.

Quelles sont les choses les plus importantes que nous ayons apprises jusqu’à présent ?

Je pense que la chose la plus importante que nous ayons apprise grâce aux sondages de l’Arab Barometer, ce que nous constatons encore et encore, c’est que les citoyens sont très déçus de la lenteur du développement économique et des opportunités économiques dans la région. Nous le constatons surtout chez les jeunes. Ainsi, quand on pense au Moyen-Orient et à l’Afrique du Nord comme des foyers d’instabilité ou de conflits, ce qu’il faut se demander c’est les raisons qui sont derrière cet ensemble de revendications. Les sondages d’opinion nous permettent de voir que nous revenons sans cesse à une chose fondamentale et commune : les attentes des citoyens ont augmenté de façon spectaculaire au cours de la dernière décennie, mais le rythme du développement économique et les possibilités économiques n’ont pas suivi, et cela devient une énorme source de déception et de frustration pour les publics arabes.

Le mot de la fin

J’aimerais ajouter que l’Arab Barometer va commencer sa cinquième série d’enquêtes. Nous faisons ce genre de sondages depuis 12 ans dans le monde arabe. Notre projet prend de l`envergure. Nous avons hâte de commencer notre nouvelle vague cet été après le Ramadan. Et j’espère que vous serez invités à participer à l’un de nos sondages dans toute la région.

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